L’Economie numérique se résume bien souvent à, d’une part, les industriels des infrastructures et d’autre part aux fournisseurs de produits et de services reposant sur ces infrastructures. Or, un troisième secteur plus silencieux accueille, forme, initie et accompagne au quotidien la population autour de ses usages numériques afin que celle-ci les comprenne, se les approprie et innove : la médiation numérique.
La médiation numérique, ce sont 5 000 Espaces Public Numériques (EPN) répartis sur tout le territoire français, portés par des associations et des collectivités qui reçoivent chaque année plusieurs millions de visites de citoyens du numérique : élèves, salariés, demandeurs d’emploi, handicapés, adolescents, parents, créateurs d’entreprise, retraités, cadres, ouvriers, consommateurs, militants, etc.
Chaque jour, les professionnels de cet “Internet accompagné” font le lien entre des technologies de plus en plus complexes et omniprésentes, et des usagers encore trop souvent perdus dans leurs pratiques du numérique, ce, malgré un taux d’équipement des foyers sans cesse croissant..
Ce travail d’animation et de médiation a été validé par de nombreuses collectivités publiques qui ont décliné des politiques ad-hoc depuis plus de 10 ans, mais n’a été reconnu que très récemment par le ministère de l’Economie numérique lors du premier séminaire national réunissant les réseaux de la médiation numérique à Paris le 15 février. Séminaire durant lequel notre mission première de lutte contre les fractures numériques a été réaffirmée tout en démontrant qu’au-delà, c’est bien notre utilité sociale et économique, notre agilité et notre capacité d’innovation permanente avec la population qui font que notre secteur prend une place prépondérante dans la Transition numérique de la société.
Ainsi, depuis plus de 10 ans, les EPN « répondent constamment à des besoins socio-économiques et culturels nouveaux » comme l’a rappelé madame la Ministre de l’Economie numérique qui a d’ailleurs profité de ce séminaire pour solliciter le soutien des EPN dans la lutte contre le chômage des jeunes en les encourageant à participer au recrutement de 2 000 emplois d’avenir…
Mais, à l’heure où la “feuille de route gouvernementale du numérique” doit être révélée, nous tenons à alerter sur les menaces qui pèsent sur notre secteur et insister, à travers 4 propositions, sur le caractère indispensable de l’accompagnement aux usages pour une inclusion de tous dans la société numérique.
En effet, en 10 ans, nos missions sont passées d’une logique de sensibilisation et d’accès aux outils à l’accompagnement aux usages du numérique. Loin d’être des clubs de Geeks, les EPN contribuent à la dynamique de leurs territoires en y impulsant des projets innovants et transversaux, reposant sur la mise en production des usagers eux-mêmes. De nombreux EPN ayant même évolué en Tiers-lieux proposant des services innovants et structurants comme le Co-working, des FabLabs, des MédiaLabs, des résidences d’artistes numériques, des lieux de participation citoyenne, etc. A la croisée du développement local et économique, de l’éducation populaire, de l’économie sociale et solidaire, de la culture, du développement durable, des services publics, etc.
Or, en parallèle, nous avons constaté un soutien politique et financier sans cesse décroissant tant au niveau national que local contrairement aux autres pans de l’Economie numérique qui ont vu leurs aides et la reconnaissance des décideurs prendre le chemin inverse !
Se pose par conséquent la question de la place et des moyens de l’action publique dans la formation et l’initiation de la population aux usages du numérique. Et bien que de nombreuses collectivités locales aient déployé leurs propres politiques d’éducation au numérique, force est de constater qu’après une première impulsion de l’Etat via la charte des Espaces Publics Numériques au début des années 2000, plus aucune politique nationale ambitieuse pour un Internet accompagné n’a depuis été réellement mise en oeuvre, malgré la création de la Délégation aux Usages de l’Internet.
Nous estimons que nous relevons, pour une large part de nos missions, d’un service public de l’Internet accompagné que personne n’incarne aujourd’hui au niveau gouvernemental. Après les incantations et les propos bienveillants, nous appelons de nos vœux une politique 2.0 de la médiation numérique.
C’est pourquoi nous proposons la mise en œuvre rapide des 4 propositionssuivantes :
Proposition 1 : Inscrire la médiation numérique dans les stratégies politiques nationales et locales.
Le premier acte fort consiste à reconnaître clairement et affirmer le soutien de l’Etat vis-à-vis de notre secteur en inscrivant la médiation numérique au sein de la feuille de route numérique du gouvernement. Ainsi notre secteur pourra alors légitimement dialoguer avec les autres acteurs de l’Economie numérique et trouver place dans les instances consultatives des politiques numériques, tel que le Conseil National du Numérique.
Et au-delà, il s’agira, avec le soutien de l’Etat, d’impliquer les EPN en amont des politiques de développement local et des stratégies numériques. En effet, les EPN disposent de 4 forces utiles dans la construction de projets de territoire :
– une implantation sur l’ensemble de la France,
– des milliers de professionnels du numérique,
– des actions transversales
– un contact quotidien avec la population.
C’est en s’appuyant sur ces forces que les élus et décideurs doivent consulter et impliquer les EPN lors de l’élaboration d’actions aussi diverses qu’un programme de lutte contre l’illettrisme, la sensibilisation au développement durable, la professionnalisation des artisans, le développement de la démocratie participative, l’aménagement d’une ZAC, etc.
Proposition 2 : Consacrer et sanctuariser 1% des budgets d’infrastructures et de développement local aux actions de médiation numérique.
Au-delà d’une reconnaissance politique, il s’agit de mettre en place les conditions d’un soutien financier pérenne de la médiation numérique, et ce soutien passe par une décision simple, peu onéreuse et de bon sens :consacrer 1% des budgets d’infrastructure numérique et de développement local aux actions de médiation numérique. Ainsi, lorsqu’on sait que le plan Très Haut Débit pour tous repose sur un budget de près de 20 milliards d’euros sur 10 ans, cela ne représente pas moins de 200 millions d’euros pour que nos concitoyens aient une réelle place dans la société numérique. Comme le rappelait le Président de la République le 20 février : “Nous devons aussi permettre le développement des usages et là, c’est de démocratie qu’il s’agit.”
Les budgets attribués à ces actions, sont donc à considérer sur le long terme, comme étant un placement à haute rentabilité socio-économique. Ce n’est que l’humain qui garantira l’innovation économique et sociale au travers des nouveaux outils numériques, à condition qu’il les maîtrise et qu’il se les approprie. Plus nos concitoyens seront formés, accompagnés et sensibilisés aux usages du numérique, à leurs impacts sur les modes de travail et de collaboration, sur la participation citoyenne en ligne, sur les modes de consommation collaboratifs, etc. plus ils seront en mesure d’inventer de nouveaux usages, de nouveaux services et créer ainsi de la valeur et du bien vivre ensemble.
Consacrer et sanctuariser 1% des budgets d’infrastructure numérique et de développement local à l’accompagnement aux usages du numérique, c’est garantir les expérimentations et la validation de nouvelles formes d’EPN en cohérence avec les besoins de la population et les évolutions technologiques.
Proposition 3 : Mettre en œuvre un programme national de formation de la profession.
Un autre élément que nous estimons indispensable à une politique nationale de l’Internet accompagné concerne la formation des professionnels du secteur de la médiation numérique.
En effet, ceux-ci mobilisent de très nombreuses compétences au quotidien : accueil et animation de tout type de public, développement de projets, veille, développement local, mise en place de partenariats, maintenance technique, communication, lien avec les décideurs et les élus, gestion administrative, encadrement d’équipe, tutorat, etc.
Pour appuyer les évolutions en cours, les équipes de médiateurs doivent être soutenus en terme de formation afin de leur permettre d’enrichir et d’asseoir leur culture professionnelle en phase avec les besoins des publics et l’environnement numérique, participant ainsi à la reconnaissance de leur métier.
C’est pourquoi nous demandons à ce que les ministères de l’Economie numérique et de la Formation professionnelle soient à l’initiative d’un plan de formation national à destination des médiateurs numériquesactuellement en poste. Un plan de formation co-construit avec les EPN qui permettrait de bâtir les Référentiels d’Emploi, d’Activité et de Formation sur lesquels s’appuieront des logiques de filières, des chaînes d’évolution des métiers et des diplômes à la fois auprès des associations et de la fonction publique.
Proposition 4 : Structurer la représentation du secteur au niveau national.
Pour animer de façon pérenne ces propositions ambitieuses, il est nécessaire que le secteur de la médiation numérique soit soutenu par l’Etat dans sa structuration.
Cela passe dans un premier temps par la mise en place d’une coordination nationale, sous l’égide du ministère de l’Economie numérique, réunissant les réseaux associatifs et publics de l’Internet accompagné existants (Coraia, Arsenic, PiNG, ANIS, Médias-Cité, La Fonderie, etc.).
Cette coordination viendra en appui au travail de la Délégation aux Usages de l’Internet et intègrerait le réseau des Cyber-bases (initié par la Caisse des Dépôts et Consignation) ainsi que l’association nationale CRéATIF en sa qualité d’inter-réseaux.
D’ici 3 ans, avec le soutien de l’Etat, le secteur devra s’être suffisament structuré pour réunir l’ensemble des dispositifs locaux de la médiation numérique et alimenter en réflexions et actions la stratégie numérique de l’Etat. Régulièrement les Assises de la médiation numérique permettront d’affirmer cette structuration.
La mise en œuvre rapide de ces 4 propositions, en complément des efforts consentis pour le développement des infrastructures numériques, doivent permettre à la France de réaliser sa Transition numérique en s’appuyant sur sa population. Il s’agit là d’une priorité nationale qui doit garantir une forme de justice sociale permettant l’émancipation et l’intégration de tous dans la société numérique de demain.