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République numérique citoyenne & Médiation numérique : quels rapports !

Depuis 2 ans maintenant la médiation numérique est au citée, sollicitée, appelée à travers de nombreux rapports et études.

Sans faire pour autant d’égocentrisme sectoriel, il semblerait qu’après avoir été au mieux ignorée, au pire volontairement mise de côté, la Médiation numérique soit considérée comme une réponse à de nombreux enjeux. Qu’ils soient éducatifs, économiques, sociologiques, politiques…

D’une certaine façon, ce regain d’intérêt a débuté lors de la présentation de la Feuille de route numérique du gouvernement. Le secrétariat d’Etat à l’Economie numérique était alors occupé par Fleur Pellerin (depuis lors ministre de la Culture). Après avoir reçu les représentants de la Médiation numérique et suite à la publication de deux Appels de la Médiation numérique par les acteurs eux-mêmes (dont Arsenic), la Feuille de route reconnaissait le travail et la place de nos activités dans une stratégie nationale :

En concertation avec les organismes responsables des EPN, une phase d’expérimentation sera lancée en 2013 pour développer des services innovants dans certains EPN, d’une part autour des usages mobiles, d’autre part autour des “fab labs”, ateliers de fabrication numérique équipés de machines permettant de réaliser des objets. Dans ces espaces enrichis, les particuliers curieux et les inventeurs pourront façonner, programmer et tester des concepts à faible coût pour ensuite créer des entreprises innovantes.

Malgré l’amalgame entre FabLab et EPN, les mots-clés étaient présents et nous pouvions alors nous positionner comme des interlocuteurs et des acteurs à part entière de l’Economie numérique.

Au printemps 2013, l’Académie des Sciences publiait un rapport sur l’enseignement de l’informatique en France

L’Académie militait alors pour que le numérique ne fasse pas oublier que tout cet écosystème reposait avant tout sur la science informatique et qu’il convenait par conséquent de favoriser son enseignement dès le primaire et pour l’ensemble des citoyens :

Nombre des progrès technologiques les plus marquants de ces dernières années sont des produits directs de l’informatique : moteurs de recherche et traitement de très grandes masses de données, réseaux à très large échelle, informatique embarquée dans les objets, etc. ../.. [son] enseignement doit s’adresser à tous les citoyens, pour qu’ils comprennent les mécanismes et façons de penser du monde numérique qui les entoure et dont ils dépendent. (il s’agit de) donner à tous les citoyens les clés du monde du futur, qui sera encore bien plus numérique que ne l’est le monde actuel, afin qu’ils le comprennent et puissent participer en conscience à ses choix et à son évolution plutôt que de le subir en se contentant de consommer ce qui est fait et décidé ailleurs.

L’Académie des Sciences nous parlant d’Education populaire ! La médiation numérique s’est alors emparée de ce rapport tout à la fois pour explorer l’apprentissage du code (algorithme, programmation des objets, etc.) à travers notamment les FabLabs mais aussi pour développer un propos autour de la Culture numérique qui va au-delà de la seule manipulation d’objets et de logiciels pour comprendre le « comment et pourquoi ça marche » (technologiquement, logiquement, économiquement, sociologiquement, etc.).

Vint alors le premier rapport traitant de la question de la Médiation numérique en réponse à des enjeux politiques. Ainsi, à la demande de Cécile Duflot, alors ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, Claudy Lebreton -Président de l’Assemblée des Départements de France- a travaillé sur la question de l’Aménagement numérique du territoire (Arsenic ayant été auditionnée) :

Notre approche du numérique, telle qu’elle est traduite dans les politiques publiques mises en œuvre, est polarisée sur les infrastructures et les équipements. Une dimension nécessaire mais certainement pas suffisante. En effet, ce que promet la société du numérique qui se dessine sous nos yeux, c’est une toute autre façon de nous représenter et de concevoir l’espace, le temps, la planète, le vivant, les relations humaines… Le défi, puisque défi il y a, concerne donc bien la manière dont nous saurons nous saisir de l’outil numérique dans sa capacité à métamorphoser notre système économique et nos modes de production, autant que nos modes de vie. Autrement dit, comment mettre en usage, au plus près de nos territoires, les formidables potentialités technologiques qui se présentent à nous.

Extrait de la Proposition 4 : 

Les Espaces publics numériques (EPN), quelle que soit leur forme, doivent continuer à accueillir et accompagner les citoyens au plus près de leurs besoins fondamentaux : accès à la connaissance, aux droits, à l’emploi, etc.

Les lieux de vie que sont les EPN méritent d’être pensés transversalement aux registres de la vie locale, comme des espaces de reconnaissance sociale, de mixité, de créativité, de fertilisation croisée des acteurs du développement local, de décloisonnement des logiques sectorielles et institutionnelles, de rencontres et de dialogues intergénérationnels. Leur champ d’intervention est amené à s’élargir pour accompagner l’évolution des usages numériques et des attentes des citoyens.

Par conséquent, les EPN -et plus globalement la Médiation numérique- comme acteurs du développement local… Le rapport préconisant de systématiquement faire appel à un EPN ou un professionnel de la Médiation numérique en amont de la définition d’un politique de développement local…

Seulement quelques semaines plus tard le Conseil National du Numérique (CNNum) publiait son rapport « Citoyens d’une société numérique : accès, littératie, médiations et pouvoir d’agir – pour une nouvelle politique d’inclusion ». Remis à Fleur Pellerin, ce rapport est exemplaire à plus d’un titre. En effet, non seulement les membres du CNNUm ont largement fait appel aux acteurs des Cultures numériques (dont Arsenic) dans le cadre d’ateliers ad-hoc pour recueillir leurs expériences et points de vue, mais il a été écrit avec intelligence et présenté dans les territoires par les rédacteurs eux-mêmes (merci notamment à Valérie Peugeot et Michel Briand d’avoir assuré le « service après-vente » du rapport).

Les EPN et la Médiation numérique ont eu une large part consacrée dans ce travail :

L’inclusion numérique ne se résume plus à l’utilisation des outils du numérique, avec lesquels une part importante de la population se débrouille à défaut de parfaitement les maîtriser : elle désigne la capacité à fonctionner comme un citoyen actif et autonome dans la société telle qu’elle est. Il n’y a pas une « e‐inclusion » d’un côté et une « inclusion » de l’autre : les deux se confondent. …/…  Il faut faire en sorte que chacun dispose, selon sa trajectoire, son point de départ, son but, des connaissances qui l’aideront à réaliser ses objectifs immédiats comme à développer ses projets, à comprendre son environnement et à le changer.

En conséquence nous aurons toujours besoin de médiateurs, avec bien entendu des rôles très variables en fonction des publics, des services, des territoires. Ces fonctions couvrent et continueront de couvrir un large éventail, de la simple explication à la formation, de l’adaptation à la réparation, de l’assistance à la gestion de conflit, de l’aide à la qualité de service, etc.

Nous considérons qu’aujourd’hui, le réseau des EPN a montré sa capacité à inventer des formes de médiation à l’ère numérique, au‐delà de la formation. Il constitue l’un des actifs sur lesquels une stratégie de développement des médiations doit s’appuyer.

L’enjeu, pour chaque territoire, est d’organiser cette « nouvelle proximité » à partir d’un maillage d’espaces partagés, multifonctions, flexibles, répondant dans des proportions variables à trois grandes catégories de besoins: l’accès aux services essentiels, l’apprentissage, la création et le développement de projets individuels ou collectifs. L’enjeu est alors d’en organiser le maillage, jusqu’à l’échelle des bassins de vie, ainsi que la collaboration au sein de ces bassins, mais aussi entre eux.

On parle là d’un maillage d’EPN à l’échelle des Bassins de vie, des lieux proposant plusieurs formes de médiations numériques afin de répondre aux problématiques d’e-inclusion que chaque citoyen rencontre et pas seulement les plus précaires…

Le rapport Camani-Verdier (octobre 2014) qui cite abondamment le travail du CNNum va plus loin dans la définition de ce qu’est la Médiation numérique :

La médiation numérique désigne l’accompagnement humain, qualifié et de proximité, au service de l’inclusion numérique. Elle s’inscrit dans des lieux pérennes ou éphémères où des liens s’organisent entre des individus médiateurs (experts, animateurs spécialisés, bénévoles, travailleurs sociaux initiés, médiateurs culturels, enseignants) et des collectifs humains (habitants, associations, entreprises, élèves, étudiants, parents, professionnels) autour d’outils numériques qui favorisent les coopérations. Elle permet à la fois l’appropriation des techniques d’usages de ces outils et la dissémination des connaissances ainsi acquises. La démarche de la médiation numérique propose aux populations d’ « apprendre en agissant ».

Elle se matérialise, en effet, avec la meilleure efficacité « pédagogique », à l’occasion de la réalisation concrète de projets, d’actions, et d’expérimentations (projets de développement local, projets de création économique, culturels, artistiques), de fabrication (prototypage, design, objets, sites, etc.), de co-constructions d’objets numériques conceptuels, virtuels et matériels (par exemple : valorisation du patrimoine, chemins de randonnées interactifs, coopérations scientifiques, logiciels, prototypes,…). Au-delà de la maîtrise des outils matériels et logiciels et de leurs usages, il s’agit aussi de développer l’aptitude à comprendre et à utiliser le numérique dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels ou collectifs et d’étendre ainsi ses compétences et capacités (littératie). Les citoyens peuvent dès lors acquérir une culture numérique suffisante pour être intéressés par les enjeux citoyens, économiques, culturels, sociaux concernés par les transformations numériques et participer, en conscience, au développement des usages. La médiation numérique doit s’effectuer de manière continue, tout au long de la vie, car elle suppose la prise en considération de la nécessaire adaptation des acquis à l’évolution permanente des technologies numériques.

Ce rapport, remis à Axelle Lemaire, Secrétaire d’Etat chargée du numérique lors des Assises de la Médiation numérique à Bordeaux fin 2014 détaille le champ d’action de la Médiation numérique, son état, ses perspectives, ses besoins de formation et de reconnaissance, son rôle dans la société en transition numérique, les condition d’émergence d’un réseau national, etc. La recette est là et il s’agit pour les professionnels du secteur de s’en emparer. Médias Cité parle même de rapport historique dans un article qui détaille les propositions du texte.

Et même le rapport de Philippe Lemoine (Président de la FING) portant sur la transformation numérique de l’économie française insiste sur les questions d’éducation au numérique, sur la construction du sens et des valeurs alors que le numérique vient tout chambouler :

L’ambition que la France doit se donner dans le numérique ne saurait seulement être celle de s’adapter, ni même d’être un des pays les plus avancés dans la course. En prenant appui sur ses valeurs, la France doit « devancer » la transformation numérique pour l’orienter et la maîtriser. Le numérique renouvelle trop profondément l’économie, l’architecture des rapports sociaux, la notion même de production culturelle, pour qu’un pays comme le nôtre se plie systématiquement à certains choix présents dans les solutions numériques dominantes qui reflètent parfois en filigrane une conception nord-américaine du monde.

Le numérique s’est installé dans notre quotidien. Aujourd’hui 80 % des gens sont connectés. Et, alors qu’auparavant, ils étaient mieux équipés au travail, c’est maintenant à leur domicile qu’ils possèdent les produits les plus performants. De ce fait, il existe une inégalité (et pas uniquement générationnelle) d’accès au savoir et au savoir-faire du numérique.

La formation au numérique devient un enjeu démocratique pour réduire ces inégalités. Mais face à la masse d’informations qui lui est désormais accessible, le citoyen doit développer son esprit critique, via en partie une formation aux usages du numérique.

Former au numérique, c’est donc répondre à une évolution de l’individu et de la société.

Enfin, alors que nous venons tout juste de définir nos bonnes résolutions pour cette année 2015 et que nous sommes tous Charlie, vient le rapport du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) sur la question des données numériques en tant qu’enjeu d’éducation et de citoyenneté.

Sur la base du constat de l’avénement du Big Data, de la façon dont il alimente des entités économiques sans que l’utilisateur/citoyen en soit pleinement conscient ; le rapport pose clairement la nécessité de développer une Culture numérique citoyenne avec le soutien des acteurs de la Médiation numérique – essentiellement les EPN- (eux-mêmes devant être soutenus pour assurer cette mission) :

La captation de l’expertise collective (en données numériques NDR) constitue une difficulté démocratique majeure à laquelle nous sommes confrontés et que l’absence d’éducation au numérique ne fera qu’accroître. Parallèlement, la transformation numérique offre à l’acteur public les moyens de donner du pouvoir d’agir, de captation de l’expertise collective afin d’accompagner une « encapacitation », un empowerment des individus. …/… Pour le CESE, les politiques publiques de formation aux « enjeux du numérique » doivent combattre la méconnaissance des mécanismes sociaux engendrés par les nouveaux usages liés au numérique et la faible prise en compte de ces enjeux dans les politiques locales.

Les EPN témoignant de (l’)engagement de la puissance publique en faveur d’une diffusion très large des accès et pratiques numériques, le CESE propose que soit réaffirmé le rôle des Espaces publics numériques afin qu’ils deviennent à la fois des lieux de proximité et d’éducation populaire pour tous et de véritables espaces de sensibilisation, de médiation à la manipulation et à la fabrication des données. Les efforts pour leur revitalisation doivent être à la hauteur des enjeux et des opportunités portées par la révolution numérique. (Pour cela), le CESE suggère la création d’un volet du « service universel » dédié à la médiation numérique. Les fonds actuellement versés par les opérateurs de télécommunication dans le cadre du service universel de téléphonie (et en particulier à la publiphonie) pourraient pour partie être réalloués au financement de la revitalisation des EPN en vue d’assurer la formation numérique des citoyens.

En complément du soutien à l’innovation numérique, la culture de la protection des données et leur maîtrise doit faire partie des futures missions des animateurs EPN. Afin de familiariser les citoyens aux ressources informationnelles mises à disposition dans le cadre de la démarche open Data par l’État et les collectivités territoriales, des projets devraient être mis en place afin de créer de nouveaux services d’intérêt général.

Voici donc près de 10 rapports en l’espace de seulement 2 ans qui pointent et démontrent l’urgence de développer une Culture numérique citoyenne, qui voient, reconnaissent et sollicitent les EPN (ainsi que d’autres acteurs de la Médiation numérique) pour accompagner les citoyens et le tissu économico-institutionnel dans la transition numérique de la société.

Le constat et les réponses sont là, il reste maintenant la mise en oeuvre !

Un réseau national de la Médiation numérique voit le jour concomitamment à la création de l’Agence Nationale du Numérique. Il va sans dire qu’avec les infrastructures (France THD) et l’innovation économique (FrenchTech), l’inscription de la Médiation numérique au sein de cette Agence est une condition sine qua non de la réussite non pas seulement de l’Agence elle-même mais de la réalisation pleine et entière de la République numérique citoyenne que la Secrétaire d’Etat appelle de ses voeux !

Le prochain rapport, souhaitons-le, sera celui qui évaluera la façon dont la Médiation numérique aura été soutenue pour mettre en oeuvre cette ambition nationale qui consiste à permettre à chaque citoyen de disposer d’une Culture numérique suffisante pour faire des choix éclairés dans la Société de l’Information…

 

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Feuille de route numérique du gouvernement – février 2013.

Rapport de l’Académie des Sciences sur l’apprentissage de l’informatique – mai 2013. 

Rapport de Claudy Lebreton sur les « Territoires numériques de la France de demain » – septembre 2013.

 Rapport du Conseil National du Numérique « Littéracie numérique » – octobre 2013

Annexes du rapport du Conseil National du Numérique sur la « Littéracie numérique » – octobre 2013.

Rapport Camani – Verdier sur le Service universel des communications électroniques – octobre 2014

Rapport Lemoine sur la transformation numérique de l’économie française – novembre 2014.

Rapport du Conseil Economique, Social et Environnemental sur les données numériques – janvier 2015.

 

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