Relation entre « compétences compréhensives » et essor de la culture numérique

ou

Comment réinterroger notre héritage pour étayer la transmission dans une (nouvelle) société de la connaissance ?

Par Franck Dantzer

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Introduction

De part le développement des technologies numériques, l’ensemble des citoyens se trouvent confrontés à des situations qui les obligent à employer un assortiment croissant de compétences (ou culture numérique) afin d’effectuer et de résoudre les problèmes qu’ils rencontrent dans les environnements numériques émergents.

La culture numérique recouvre « une acception large qui s’inscrit dans le domaine de l’orientation, comme faisant partie d’une constellation de compétences nécessaires à la vie permettant de participer pleinement à une société hautement médiatisée.

Ceci induit la capacité à :

  • faire des choix responsables et accéder aux informations par la localisation et le partage du matériel et par la compréhension des contenus ;
  • analyser les messages issus d’une variété de formes en identifiant la source (l’auteur, le but et le point de vue) et en étant capable d’évaluer la qualité et la crédibilité du contenu ;
  • créer des contenus dans une variété de formes à des fins authentiques, en faisant usage du langage, des images, des sons, et des nouveaux outils et technologies numériques ;
  • réfléchir sur sa propre conduite et son comportement en matière de communication en faisant preuve de responsabilité sociale et de principes éthiques ;
  • participer socialement en travaillant à la fois individuellement et en collaboration afin de partager les connaissances et résoudre les problèmes dans la famille, au travail et dans la communauté, participer en tant que membre d’une communauté[1]».

Cette dénomination de culture numérique est de plus en plus souvent présentée comme une nouvelle forme d’esprit qui permet aux utilisateurs de se mouvoir naturellement dans la topographie des environnements numériques pour accéder facilement et efficacement à la vaste somme de connaissances qui y sont intégrées.

Par conséquent cette appellation recouvre un ensemble de champs très variés allant de la sphère purement technique (ou de procédure) à des facteurs cognitifs en passant par des significations psychologiques et sociologiques. Cela crée des ambiguïtés et peut mener à des incompréhensions…

A. Les TIC : simples outils ?

Toute technologie est le fruit d’une expression de la volonté humaine : avec nos outils nous cherchons à étendre notre contrôle et notre pouvoir sur nos conditions de vie, sur la nature, le temps, la distance et les uns sur les autres.

Plus spécifiquement les technologies numériques en tant que technologies intellectuelles modifient nos modes de pensées. Elles ne sont pas simplement des supports pour l’activité, elles sont aussi des forces puissantes qui agissent pour refaçonner cette activité et sa signification.

Comme toute technologie intellectuelle, elle sous tend une éthique intellectuelle et force est de constater que les utilisateurs s’en soucient peu et s’intéressent le plus souvent aux avantages pratiques. Il importe de rester vigilant au fait que les effets secondaires de ces technologies sont non négligeables et que c’est bien l’éthique d’une invention intellectuelle qui a le plus d’impact dans les modifications des modes de pensée qu’elle crée. (Nicholas Carr[2], 2010)

Il convient donc d’affiner le cadre conceptuel que recouvre la concept de culture numérique et d’y interroger le rôle que peut y jouer la technologie entre déterminisme technologique pour lequel le progrès technologique est porteur d’une force autonome échappant au contrôle de l’homme et instrumentalisme technologique pour qui les outils sont des artefacts neutres, entièrement soumis aux désirs conscients de leurs utilisateurs.

Ainsi les médiateurs numériques professionnels doivent prendre conscience que le discours auto-entretenu permettant de rassurer les technophobes qui consiste à dire que les Technologies de l’Information et de la Communication ne sont « qu’un outil » ne saurait être suffisant. La technologie / l’outil modifient notre façon de penser et structurent nos échanges de façon très profonde[3]. Il s’agit d’une posture professionnelle qui modifie non seulement le rapport à la technologie numérique mais aussi au public et aux supports pédagogiques utilisés.

B. Les compétences compréhensives nécessaires aux environnements numériques : un cadre conceptuel [4]

La « culture numérique » implique plus qu’une simple capacité à utiliser un logiciel ou à faire fonctionner un appareil numérique, elle comprend une grande variété de compétences complexes dont les utilisateurs ont besoin pour agir efficacement dans les environnements numériques :

–        cognitives,

–        logiques,

–        intuitives

–        techniques,

–        motrices,

–        sociologiques,

–        psychologiques,

–        émotionnelles,

–        etc.

Les tâches requises dans ce contexte demandant par exemple :

– de comprendre les instructions à partir des affichages des interfaces graphiques,

– de créer de nouveaux contenus différents de ceux qui existent déjà,

– d’adopter une lecture numérique (associant lecture et réflexion)pour construire des connaissances à partir d’une navigation dans les contenus (scrutation linéaire et hypertextuelle)

– d’évaluer la qualité et la validité des informations,

– d’avoir une compréhension réfléchie et réaliste des «règles» qui prévalent dans le cyberespace.

Le concept naissant d’éducation numérique peut être utilisé comme une mesure de la qualité des situations d’apprentissages dans des environnements numériques, et fournir un support de communication efficace pour favoriser la conception de meilleurs environnements en direction des utilisateurs.

Ce cadre conceptuel pour l’éducation numérique s’articule autour d’un ensemble de compétences, habiletés, aptitudes et stratégies (compréhension des représentations visuelles ; détournement créatif ; lecture non linéaire et hypertextuelle ; logique informationnelle ; pratiques coopératives et socio affectives).

La culture numérique peut être définie comme une compétence de survie à l’ère numérique. Elle constitue un ensemble de compétences et de stratégies utilisées par les utilisateurs dans les environnements numériques. En utilisant ces différents types de compétences, les utilisateurs améliorent leur performance et surmontent une variété d’obstacles et chausses trappes qui jalonnent la route de ces médias particuliers.

L’état de la littérature montre un usage inégal du concept de culture numérique dans son acception. Certains limitent son usage aux aspects de fonctionnement techniques dans les environnements numériques tandis que d’autres l’appliquent dans le contexte des aspects de travail cognitifs et socio-affectifs dans un environnement informatique.

Ce cadre conceptuel proposé par Y Eshet-Alkalai est un premier pas vers l’élaboration d’un cadre intégratif de référence qui englobe la plupart des dimensions de l’activité des utilisateurs dans les environnements numériques.

C. Les domaines de compétences

  1. Les habiletés à lire les représentations visuelles

Le terme d’alphabétisation visuelle, entendu comme capacité de comprendre, d’utiliser, d’évaluer et de composer en utilisant des images, est apparu dans les années 1960. Renée Hobbs a montré que l’apprentissage préalable n’était pas une condition requise pour comprendre les images visuelles : les images ne fournissent certes pas les mêmes informations que l’expérience en trois dimensions mais leur nature iconique signifie que la relation entre le symbole et le référent n’est pas arbitraire.

L’interprétation vient du contexte narratif, non du code. L’alphabétisation visuelle intègre un savoir critique qui se développe au travers des discussions permettant d’étudier la nature construite des images, leur contexte historique, et la « capacité des images à manipuler » (Bamford, 2003).

L’écriture est un moyen de communication qui utilise des symboles ; dans le cours de l’histoire, elle a été développée à partir d’un alphabet d’images, qui utilisait des symboles avec des significations visuelles pour représenter des mots, des consonnes ou des lettres, et qui par conséquent requérait un niveau relativement faible de médiation cognitive, jusqu’à l’alphabet moderne, qui est composé de symboles abstraits (Lettres) de moindre signifiance imagée, et qui nécessite donc un niveau plus élevé de médiation cognitive.

En revanche, l’histoire de la communication visuelle dans les environnements numériques reflète une tendance inverse, comme le montre par exemple les interfaces utilisateurs d’ordinateurs. Celles-ci se sont développées depuis des interfaces à bases textuelles, à commandes guidées syntaxiques jusqu’à des interfaces utilisateurs graphiques intuitives qui mettent en œuvre les principes « de l’utilisation de la vision pour penser » et créent une communication visuelle efficace qui «parle la langue de l’utilisateur ».

La recherche des usages a indiqué qu’il est plus facile pour la plupart des utilisateurs, débutants comme experts, d’apprendre à partir d’interfaces graphiques, parce qu’elles recourent à des communications visuelles naturelles avec les utilisateurs.

À bien des égards, les interfaces utilisateurs graphiques représentent un renouveau de la forme disparue de la lecture qui a prévalu à l’ère de l’alphabet image : la lecture visuelle.

Ainsi, selon Y Eshet-Alkalai, en travaillant avec des interfaces utilisateurs graphiques, les utilisateurs recourent à une forme spécifique des compétences numérique – l’alphabétisation visuelle – qui leur permet de «lire» intuitivement et librement, et de comprendre les instructions et les messages représentés visuellement. Les personnes maîtrisant la lecture visuelle ont une bonne mémoire visuelle et une forte pensée intuitivo-associative, qui les aident à décoder et comprendre facilement et couramment les messages visuels.

La nature du processus de « lecture visuelle », la performance des utilisateurs avec des tâches qui sollicitent la capacité de lecture visuelle, ainsi que leur attitude envers la lecture visuelle sont des sujets qui ont attiré de nombreuses études.

Les chercheurs ont alors montré que le travail visuel dans des interfaces utilisateurs graphiques réduit considérablement le temps nécessaire pour faire fonctionner un environnement numérique, démontrant ainsi l’importance de la prise en compte de cette compétence dans la conception des interfaces utilisateurs[5].

À la lumière de la reconnaissance de la valeur de la communication visuelle dans l’apprentissage, ainsi que le développement des environnements numériques de travail dans le cours des dernières décennies, les éditeurs de logiciels ont investi des efforts particuliers dans la planification d’environnements interactifs multimédia sophistiqués qui tirent parti de la possibilité de représenter texte, son et mouvement en synchronisation. Cela a conduit à l’identification d’un type spécial d’apprentissage visuelle, identifié comme apprentissage synchrone, car il est basé sur la stimulation synchronisée de l’apprenant par le biais du multimédia. L’apprentissage synchrone fait appel à un aspect spécifique de la compétence visuelle, désigné compétence de lecture synchrone.

L’utilisation de l’apprentissage synchronisé de textes numériques ne se limite pas seulement aux jeunes enfants, mais peut aussi être utilisé dans le domaine de la formation des adultes. C’est démontré dans le large éventail de programmes informatiques pour l’apprentissage dactylographique. Dans ces programmes, les apprenants travaillent dans un environnement numérique synchrone : Ils sont invités à taper un texte qui est projeté sur l’écran. Tandis qu’en tapant, ils voient leurs actions éclairées sur un clavier simulé, et des commentaires audio automatisés les informent des erreurs…

  1. Les habiletés de détournements créatifs de contenus : la (re)production numérique

L’invention de l’imprimerie par Gutenberg (1455) a marqué une révolution dans le développement de la pensée par la capacité humaine à copier, reproduire, et diffuser des informations à grande échelle.

Jusque-là, toutes les connaissances étaient stockées dans les bibliothèques ou des collections de telle sorte qu’elles ne pouvaient pas être reproduites. Certaines traditions et connaissances n’étaient même pas sous formes écrites, mais étaient transmises oralement entres proches.

De la même manière, une nouvelle révolution dans la capacité humaine de reproduction des connaissances s’est produite avec l’émergence de l’informatique et des capacités de reproduction numérique. Ces nouvelles possibilités techniques de diffusion illimitée d’informations ont ouvert de nouveaux horizons mais elles ont également exigé le développement d’un nouvel ensemble de critères pour caractériser l’originalité, la créativité et la qualité dans le travail de production de contenus culturels (artistiques, intellectuels, etc.).

Cela suscite des questions profondes, telles que, par exemple, dans quelle mesure une personne peut-elle copier ou réviser une œuvre existante artistique ou un texte pour que cette production soit considérée non comme un plagiat, mais comme une création originale? Quand est-ce qu’une création devient un acte technique de reproduction?

A l’époque de la reproduction, les chercheurs et les étudiants utilisent des parties de textes qui ont déjà été publiées en tant que base pour de nouveaux articles. Cependant, qu’en est-il d’un document qui constitue une version légèrement différente d’un article publié antérieurement par le même auteur, ou dans un cas plus radical, par un auteur différent? Combien de changements doivent être nécessaire pour que de tels papiers soient considérés comme originaux, vrais, et légitimes?

La constante amélioration des capacités des ordinateurs et des programmes d’édition numérique constitue un défi croissant en ce qui concerne l’utilisation de la reproduction pour créer une œuvre de création véritablement originale aussi bien comme œuvre artistique que comme œuvre intellectuelle et ouvre un nouvel horizon pour la discussion de l’originalité et la créativité à l’ère de la reproduction.

Rédiger un travail académique original à l’aide de techniques de reproduction numériques de texte fait appel à une forme spéciale de compétence, la compétence de (re)production numérique. C’est la capacité à créer un sens, un travail authentique de création ou d’interprétation en intégrant des éléments existants d’informations indépendantes.

La maîtrise de telles aptitudes induit une pensée synthétique multi dimensionnelle qui permet de créer de nouvelles combinaisons significatives de l’information existante. Eshet (2002) a constaté que la compétence de (re)production numérique d’adultes à qui on a demandé d’apporter une nouvelle signification à des textes existants, au moyen d’une reproduction de texte, était beaucoup plus élevée que celui des jeunes. Cette constatation indique une tendance inverse à celle décrite précédemment pour l’alphabétisation visuelle pour laquelle les jeunes participants ont démontré une plus grande capacité que celle d’adultes.

  1. Une aptitude réflexive non linéaire et ramificatrice de lecture

Entre la fin de l’époque romaine et le VIe siècle après J.-C., deux inventions technologiques révolutionnaires ont été introduites: la première a été le remplacement de l’écriture sur rouleaux par la séparation de pages qui pouvaient être recueillies dans des livres, et plus tard, la numérotation des pages. L’apparition de livres reliés avec des pages numérotées a permis d’accéder à un nouveau degré de liberté dans le traitement des informations : la possibilité de naviguer plus facilement à des endroits définis dans le texte, ou à travers des régions éloignées d’un texte grâce à l’ajout de tables des matières et d’index.

L’invention de livres a également créé une nouvelle façon d’appréhender le texte: les rouleaux sont lus linéairement, ligne par ligne, mais avec le volume relié, il est devenu possible de feuilleter les pages. Toutes les manières de naviguer à travers le texte de façon non linéaire, facile et précise deviennent alors possibles. Ainsi, les racines les plus anciennes d’utilisation de l’hypertexte remontent à l’origine du livre relié, beaucoup plus tôt que l’invention de l’imprimerie, sans parler de l’ordinateur. Mais ces pratiques culturelles restaient néanmoins fondées sur une pratique réflexive ordonnée et linéaire.

Jusque dans les années 1990, le travail dans les environnements informatiques, dont la plupart n’étaient pas fondées sur la technologie hypermédia a favorisé une réflexion relativement linéaire. Cela a été dicté par la rigidité des systèmes d’exploitation et par le fait que les utilisateurs se référaient au livre et s’attendaient à travailler dans un environnement informatique qui imiteraient la pratique chronologique de lecture livresque.

Les environnements hypermédia moderne permettent un haut degré de liberté dans la navigation à travers différents domaines de connaissance, mais confrontent les utilisateurs aux problèmes découlant de la nécessité de construire des connaissances à partir d’une quantité toujours plus croissante de ressources indépendantes accessibles de manière non ordonnées.

Du point de vue éducatif, l’importance centrale des environnements numériques basés sur l’hypermedia ne réside pas nécessairement dans les capacités multitâches qu’ils offrent aux utilisateurs, mais dans la possibilité d’utiliser un tel environnement pour une navigation non-linéaire, ramificatrice, associative à travers différents domaines de connaissances. Cette capacité favorise une pensée multidimensionnelle et conduit au développement d’un nouveau type de compétence numérique, la compétence de lecture numérique. Une aptitude de lecture numérique se caractérise par une bonne compréhension de l’orientation spatiale multidimensionnelle, qui est, la capacité à éviter de perdre l’orientation lors de la navigation à travers le labyrinthe qui caractérise l’hyperespace.

Comme le rappelle Alain Giffard, la lecture dans un environnement numérique a connu deux périodes distinctes avant et après l’apparition du web. Caractéristique de la première période, la « lecture à l’écran », n’a pas la compréhension du texte comme objectif. Elle reste une lecture de contrôle opérationnel comme dans l’usage des bornes interactives. C’est l’invention du web qui a créé les conditions de base de l’accès à un environnement textuel suffisamment consistant pour susciter une pratique véritable de lecture numérique.L’acte de lecture numérique est compliqué et difficile. Ces difficultés, soulignées par les psychologues et les cogniticiens, sont de tous ordres: la visibilité du texte sur l’écran, la typographie et la mise en page, le détournement de l’attention par les bifurcations de l’hypertexte, l’absence d’intégration des opérations de lecture qui empêche le lecteur de projeter son modèle de compréhension du texte lu. Le lecteur doit en permanence recadrer son idée du texte au risque d’oublier les versions antérieures, et donc de couper le fil de lecture.

L’acte de lecture numérique est centrale dans les habiletés en tant que nouvelle pratique culturelle et questionne sa place, son importance comme culture et pratique au regard de la culture écrite qui ordonne et organise notre vie au quotidien : dans le monde d’aujourd’hui quel que soit son degré de maîtrise nul n’est en dehors de la lettre…

Diverses études ont suggéré que les personnes qui possèdent une bonne capacité de lecture numérique ont également une bonne pensée métaphorique, ainsi que la capacité de créer des modèles mentaux, des cartes conceptuelles et d’autres représentations abstraites de la structure du réseau. L’utilisation de ces compétences cognitives améliore considérablement les performances de navigation sur le net, empêche les problèmes de désorientation, et améliore la capacité de construire des connaissances.

Malgré tout cela, la lecture numérique est une «compétence de survie», une nécessité pour les apprenants pour effectuer des tâches de construction de connaissances dans une époque de l’information.

Eshet (2002) a exploré la capacité des utilisateurs à exécuter des tâches qui nécessitent une aptitude réflexive ramificatrice de lecture. Les résultats révèlent que les plus jeunes des participants avaient la capacité la plus élevée à accomplir la tâche avec succès.

  1. Logique informationnelle: le regard critique

Avec la croissance rapide de l’accès à l’information, la capacité des utilisateurs à les évaluer et à les utiliser à bon escient est devenue une question clé. Le besoin d’une évaluation correcte de l’information n’est pas spécifique à l’ère numérique, il a toujours été central à un apprentissage réussi, avant même la révolution de l’information.

Toutefois, à l’ère moderne, avec l’exposition illimitée à l’information numérique, informations qui peuvent être publiées facilement et manipulées sans difficulté, la possibilité d’évaluer et analyser correctement l’information est devenue un “outil de survie” pour les chercheurs et les consommateurs d’informations.

Les principaux problèmes pour l’évaluation des informations consistent dans la difficulté d’évaluer la crédibilité et l’originalité de l’information et l’intégrité professionnelle de sa présentation. Au cours de recherches académiques, des décisions sont prises quant aux éléments de données à utiliser, et ceux à ignorer. Ces décisions sont prises dans le cadre de la récupération d’informations de bases de données, ou de navigations sur Internet. La sensibilisation des utilisateurs à prendre ces décisions détermine en grande partie la qualité des conclusions, des positions, des avis, ou modèles qui sont construits d’après l’information.

En l’absence de mécanismes efficaces d’évaluation des informations, comment les utilisateurs peuvent-ils décider parmi la quantité infinie et contradictoire de bouts d’informations desquels douter et lesquels choisir ? La logique de l’information, se réfère aux habiletés cognitives que les consommateurs utilisent pour évaluer l’information de manière instruite et efficace. La logique informationnelle fonctionne comme un filtre: elle identifie les informations erronées, sans importance ou biaisées, et empêche son infiltration dans le système de considérations de l’utilisateur. Les personnes possédant une logique informationnelle ont une pensée critique et sont toujours prêtes à douter de la qualité de l’information. Elles ne sont pas tentées de prendre des informations pour acquises, même quand elles semblent valides et faire autorité.

Malheureusement, les études les plus récentes sur la logique informationnelle se sont concentrées sur les stratégies et les habitudes de recherche d’informations et seulement quelques unes mettant l’accent sur les aspects cognitifs et pédagogiques pertinents.

Eshet – Alkalai (2002) a constaté que les adultes présentent un degré plus élevé de maîtrise de l’information que les jeunes gens dans ses études.

  1. La dimension socio-affective de l’échange, de la coopération

L’expansion de l’Internet et autres plates-formes de communication numérique a ouvert de nouvelles dimensions et possibilités de collaboration à travers le partage d’informations sous diverses formes, en tant que communautés de travail, groupes de discussion, chat rooms, etc. Cependant, à côté des opportunités, ces nouvelles possibilités confrontent aussi l’utilisateur à des problèmes, dans une proportion inconnue avant l’époque d’Internet.

Par exemple, comment est-il possible de savoir si les individus dans une salle de chat sont vraiment les personnes qu’ils disent être? Comment pouvons-nous dire si un appel sur le net est réel ou un canular? Faut-il ouvrir un courrier électronique d’une personne inconnue, même si l’objet de l’e-mail semble être intéressant? Il peut contenir un virus, mais là encore, il pourrait être authentique. Ces questions ne sont que quelques exemples des considérations dont les utilisateurs de l’Internet doivent tenir compte afin de «survivre» parmi les communications massives du cyberespace, et de pouvoir bénéficier des vraies opportunités qui s’offrent à eux.

Le cyberespace a ses propres règles non écrites. Il est non seulement un village planétaire, mais plus précisément, il s’agit d’une jungle embrassant une quantité infinie d’informations, vraies et fausses, honnêtes et trompeuses, basées sur la bonne volonté et le mal. Les activités dans le cyberespace peuvent être risquées pour des utilisateurs innocents qui ne comprennent pas les règles du jeu. Des exemples de tels dangers touchent presque tous les aspects de notre vie.

Les utilisateurs du cyberespace qui en comprennent les enjeux sociaux savent comment éviter les “pièges”, ainsi que de tirer bénéfice des avantages de la communication numérique. Ces utilisateurs disposent d’une forme relativement nouvelle de compétence numérique : la dimension socio-affective de l’échange car elle implique essentiellement des aspects sociologiques et émotionnels de travail dans le cyberespace.

La dimension socio-affective de la culture numérique semble être le plus complexe de tous les types de compétences de la culture numérique décrits. Afin d’acquérir cette compétence, les utilisateurs doivent être très critiques, analytiques et matures, et doivent avoir un haut degré de logique informationnelle et d’aptitude réflexive ramificatrice de lecture.

Des recherches ont été consacrées à l’élaboration d’un profil socio-psychologique des utilisateurs du cyberespace. Sur la base des conclusions de ces études, les utilisateurs qui possèdent une dimension socio-affective de l’échange peuvent être décrits comme ceux qui sont :

–        prêts à partager des données et des connaissances avec les autres,

–        capables d’évaluer de l’information,

–        capables de développer une pensée abstraite,

–        capables de construire des connaissances en collaboration.

 

Ouverture en guise de conclusion

Aujourd’hui des concepts tels que la « citoyenneté numériques », la « culture numérique », insistent sur les compétences et les connaissances nécessaires pour être efficaces au sein d’un environnement social où les médias sont de plus en plus présents, où les distinctions entre producteurs et consommateurs s’évanouissent et où le flou entre les univers publics et privés créent de nouveaux défis éthiques et de nouvelles opportunités. Dans la cultureparticipative qui est en train d’émerger, la culture s’imprègne des nouvelles technologies des médias en expansion et y répond. L’utilisateur peut archiver, annoter, s’approprier et faire circuler les contenus des médias grâce à de nouveaux et puissants moyens.

Au delà des compétences en matière d’outils et du fait qu’existent des rythmes différenciés d’apprentissage entre les générations (digital native et immigrants) et en fonction du milieu social et du mode de rapport à la culture et aux médias, nous ne pouvons faire l’impasse sur les questionnements qu’ouvre la définition d’un cadre conceptuel de la culture numérique. En effet cette culture numérique est présentée comme un type spécial de mentalité qui permet aux utilisateurs d’agir intuitivement dans les environnements numériques, et d’accéder facilement et efficacement à la vaste gamme de connaissances intégrées dans ces environnements. Elle est conçue comme une combinaison de compétences technico-procédurales, cognitives et socio-affectives. Par exemple, l’usage d’un programme informatique est conçu comme portant sur les compétences procédurales (par exemple, la manipulation des fichiers et l’édition des visuels), ainsi que les compétences cognitives (par exemple, la capacité de déchiffrer intuitivement ou «lire» les messages visuels intégrés dans les interfaces utilisateur graphiques). De la même manière, la récupération de données sur Internet est conçue comme une combinaison de compétences procédurales (en collaboration avec les moteurs de recherche) et des aptitudes cognitives (évaluation des données, tri des données fausses et tendancieuses, et en distinguant entre les données pertinentes et non pertinentes). Une communication efficace dans les forum est conçue comme nécessitant l’utilisation de certaines compétences sociales et émotionnelles. Grâce à l’exposition accrue à des environnements numériques de travail et d’apprentissage, la culture numérique a été conçue comme une «compétence de survie » qui permet aux utilisateurs d’exécuter des tâches numériques complexes de manière efficace.

Ce cadre est très orienté vers la pratique et semble couvrir les types les plus significatifs de compétences que les utilisateurs emploient de manière efficace et en pleine conscience de travailler dans des environnements numériques. Il peut cependant exister de doutes quant à l’hypothèse de base que nous avons affaire à un certain nombre de compétences distinctes et à partir d’une hypothèse selon laquelle au-delà de la liste des compétences numériques est quelque chose de beaucoup plus profond. Une première réserve peut soutenir que les différents ensembles de compétences numériques représentent en fait différents styles d’apprentissage (en termes de Dunn & Dunn, 1993), les intelligences multiples (dans le sens inventé par Gardner ( 1993a ), ou les types de personnalité ( Myers Briggs &, 1987 ; Cattel et al., 1970 ). Un autre point de vue, encore plus sceptique, affirme qu’il existe en fait deux catégories différentes de «compétences», qui sont logiquement et empiriquement incompatibles et, en fait, représentent deux cultures différentes. Il est lié aux travaux d’ écrivains tels que Tapscott (1998) et Negroponte (1995), qui se réfèrent à la culture numérique, d’une part, et le livre basé sur la culture, de l’autre, comme comprenant les épistémologies et des valeurs différentes.

Selon le premier, point de vue sceptique modéré, la littérature sur la culture numérique devrait devenir partie intégrante de l’ensemble des travaux sur les styles d’apprentissage, les intelligences multiples, ou des types de personnalité. Selon la seconde, c’est la pointe de l’iceberg de la littérature sur le «choc des civilisations», qui décrit la transition des sociétés occidentales d’une culture basée sur le livre, à une culture de la saturation caractérisée par une consommation effrénée ou d’une désintégration de l’égo dans les mondes virtuels multimédia symbolique de processus de désindividuation au sens de B. Stiegler et de G. Simondon.

Le débat doit se poursuivre si l’on veut avoir une vision claire et théoriquement cohérente au regard de la masse des littératies de base nécessaires pour un apprentissage efficace dans les environnements numériques.

 

[1] Cette définition de la culture numérique est extraite de l’article de Renée Hobbs parue en 2010 surle site de l’Ina (http://www.ina-sup.com/node/1585). Renée Hobbs est professeur et directrice du Laboratoire de recherche sur l’éducation aux média (Université de Temple, Philadelphie)

[2] Nicholas Carr est particulièrement connu pour son article « Is Google making us Stupid ? What the Internet is doing to our brains » paru sur Atlantic en 2008.

[3] Ainsi, la seule possibilité d’imprimer et de diffuser à un grand nombre a-t-elle modifié totalement la façon de penser des contemporains de Gütemberg. L’homme crée l’outil qui change l’homme à son tour…

[4] Le cadre conceptuel proposé repose en grande partie sur les travaux d’Y Eshet et Alkalai

[5] Mason (2002) a proposé un modèle de lecture et d’écriture hypertextuelle, en utilisant des méthodes différentes pour la présentation visuelle de données numériques, et Mc Loughlin et Hutchinson (2002) ont décrit les avantages d’un environnement visuel numérique pour un apprentissage réussi de langue étrangère.